
Depuis que la crise sanitaire n’en finit pas de semer le chaos économique notamment dans le secteur culturel, des appels à la solidarité nous parviennent de nos plus belles stars. Le dernier de Gautier Capuçon sur son profil FB est un modèle du genre :
« La culture est donc une fois de plus sacrifiée…
Combien d’artistes ne survivront pas ?
Combien d’acteurs de l’écosystème culturel ne s’en relèveront définitivement pas ? Combien de jeunes vont abandonner leur rêve ?
Incomprehension, colère, pleurs. »
Qu’il est facile pour cette « élite médiatique » de jouer sur la corde sensible de la solidarité de ceux qui ont (le frigo bien rempli) vers ceux qui n’ont plus rien (dans le frigo).
Ces défenseurs aux grands cœurs multiplient les soutiens aux artistes précaires, aux jeunes (il y a des causes plus glamours que d’autres), aux structures qui tombent ou vont tomber bientôt. Maintenant que tout risque de s’effondrer vous prenez la parole pour nous tendre la main : n’est- ce pas un peu tard, pour vous soucier de nous ?
Vous qui fréquentez sans cesse les sphères du pouvoir à des fins de carrières personnelles, où étiez vous avant la crise ?
Nous le savons très bien car vous n’en faites pas secret. Certains se félicitent même d’avoir le téléphone portable du président Macron, d’autres d’être les intimes de tels ou tels ministres, de déjeuner ou dîner avec tous ceux qui envoient le secteur culturel droit dans le mur. Le comble fut atteint pendant le premier confinement quand certains d’entres vous furent consultés par les conseillers du président pour réfléchir au « monde d’après » ! Vous qui ne connaissez rien à la précarité des artistes et du milieu culturel. Toute cette « commedia dell’arte » du pouvoir devrait vous décrédibiliser à jamais, mais on devine déjà comment vous allez en ressortir renforcés, auréolés d’altruisme et de générosité dans la presse du gotha.
Au cas où vous ne vous en seriez pas aperçu, la précarité généralisée de l’immense majorité des artistes, qu’ils soient jeunes ou moins jeunes, ne date pas du COVID 19.
Cela fait bien longtemps que le secteur culturel est au bord du gouffre et que des milliers d’artistes sont dans l’intermittence de l’emploi sans être au régime de l’intermittence conditionné à 507 heures sur 12 mois. Que des milliers d’autres artistes sont au RSA. Que tous ces précaires de l’art sont depuis des décennies dans l’ombre de votre médiatisation. Et pire encore ils sont condamnés à vous aimer, vous qui occupez les postes de pouvoir économique puisque vous accumulez les directions artistiques de festivals, de saisons, sans compter tous ces jeunes chefs d’orchestres aux dents longues qui portent aussi la casquette de l’employeur dans les orchestres indépendants. Un mélange des genres scandaleux qui nous condamne à la subordination à perpétuité.
Et vous voudriez peut-être qu’on salue votre générosité et qu’on accepte votre main tendue ? Ces mains qui n’arrêtent pas de serrer celles qui détruisent l’assurance chômage (voir les dénonciations de Samuel Churin, membre de la coordination des intermittents et des précaires), ces mains qui veulent abattre le régime de l’intermittence qui nous mène pourtant vers le chemin de l’émancipation face au marché capitaliste de la culture, car il paye du salaire hors emploi à tous ceux qui bénéficient de ce régime. Ces mains qui façonnent l’art comme un objet de consommation qui salit ce pourquoi on a décidé de faire ce métier. Ces mains qui refusent que l’artiste soit souverain dans son travail, libre de décider ce qu’il produit, avec qui et comment.
Quel est le sens de la création artistique dans un mode de production capitaliste qui enferme l’art dans une logique de profit ? Ou pour le dire comme Aurélien Catin auteur de « Notre Condition » : « La culture se meurt d’être pensée comme un bien public mais produite comme une marchandise ».
Alors voilà que le monde de la culture se soulève, sort dans la rue manifester, essaye de résister comme il peut. Les artistes imaginent même se produire dans des lieux inhabituels pour interpeller le gouvernement. La toute récente initiative de Renaud Capuçon d’aller dans un supermarché sortir son violon pour jouer un extrait de Bach, tout cela filmé et relayé dans les médias, pose évidemment question. Que vient faire cet obligé d’Emmanuel Macron dans cette lutte qui ne peut être la sienne ? Cette énième provocation doit nous faire réfléchir à la soi-disant homogénéité du monde de la culture. Nous ne sommes pas tous dans le même camp ! Voilà à quoi les artistes doivent s’atteler : aux rapports sociaux, c’est-à-dire aux rapports de force entre les musiciens inféodés au pouvoir en place, travaillant à leurs propres intérêts et des crèves la faim qui galèrent pour vivre de leur métier d’artiste.
Le jour où vous serez à nos côtés pour construire collectivement des alternatives concrètes à la sécurisation des salaires pour tous les artistes, comme celles entamées par l’assurance chômage et son régime de l’intermittence, ou comme le projet d’une sécurité sociale de la culture et des arts qui socialisera une part de la valeur ajoutée des entreprises en l’affectant à un salaire à la qualification personnelle de tous les artistes, et conventionnera des structures culturelles non lucratives et non marchandes,… alors nous reconsidérerons notre point de vue sur vous !
Mais nous n’avons que très peu d’espoir à votre encontre. Tout cela voudrait dire que vous refusiez d’être payés au cachet, mais plutôt à la qualification reconnue par un grade, que vous refusiez le droit d’auteur, bref que vous acceptiez une hiérarchie des salaires de un à quatre (1500 euros net par mois en début de carrière jusqu’à 6000 euros net en fin de carrière).
Dans ce cas nous accepterons avec grand plaisir votre « solidarité » !
Rémy Cardinale, Membre du collectif « Convergence des Luths ».