Se passera-t-il quelque chose aux Victoires de la Musique?

 Article publié dans la Lettre du Musicien du 24 Février 2021, merci à eux de leur confiance!
https://bit.ly/3bwZyEh

À chacun ses marronniers. Le cinéma a ses Césars, la musique a ses Victoires. À chaque année sa dissonance grinçante: avalanche de critiques, portant sur la raison d’être de ces parodies à gros budget, alors même qu’elles continuent à représenter l’adoubement suprême de leur milieu. Tombereaux d’ordures en coulisse, mais paillettes et sourires mouillés dans la salle. 

Une différence majeure sépare cependant le vaisseau mère de ses pâles copies: au moins, aux Césars, de temps en temps, on peut voir une Sophie Marceau bourrée qui bafouille quelque chose de touchant. Les émotions ont cette saveur presque sincère, dans le milieu du cinéma, qui surprend les musiciens. 

La question est sur quelques lèvres: les Victoires de la Musique Classique auront-elles leur Florence Foresti des Césars 2020? 

Fidèle à sa ligne de conduite, Convergence des Luths ne remet pas – et ne le fera jamais – en question le talent des artistes « nominés ». Parce que Convergence des Luths refuse fermement de mettre en question la qualité artistique et le talent…de tous ceux qui ne sont pas nominés. 

Ces Victoires -quel mot terrible – ont le mérite, en 2021, d’exister. On s’en doute, la crise étant ce qu’elle est, il y aura des appels vibrants à « sauver la culture », on se doute que peut-être une personnalité ou un lauréat prendra le taureau par les cornes pour appeler Roselyne Bachelot « au secours », le trophée dans une main la brosse à reluire dans l’autre. Peut-être même aura-t-on droit à un discours aussi joliment tourné que celui de Riccardo Muti, dans cet autre comédie à très gros budget qu’est le concert du nouvel an à Vienne. Ah! C’était drôle, de voir ce millionnaire autoritaire pousser une chansonnette qui n’effraierait pas un nourrisson, mais qui, nous en sommes certains, a ému aux larmes les puissants de ce monde. C’était d’autant plus drôle qu’un chef d’orchestre pour diriger les valses du nouvel an c’est à peu près aussi utile qu’un feu rouge au milieu d’un champ. 

La véritable question est celle-ci: les artistes saisiront-ils un jour leur chance de ne plus se comporter comme des marchandises, et de ne plus lancer ces appels au « sauvetage », comme si le monde des arts était un noyé permanent sommé de quémander des bouées? 

Chaque année nous sortons les pop-corns devant nos écrans, partagés entre le dégoût et la fascination morbide, pour savoir qui nous parlera de ses « étoiles dans les yeux », de sa grand-mère décédée, de ses parents à qui il doit tout ou racontera à qui veut l’entendre que la musique « n’est pas un métier c’est une passion ». Parce que bon, on a compris, les Victoires c’est comme la Présidence, il y en a qui y pensent tous les matins devant la glace. On espère presque, en arrivant vers la fin de cette éternité, qu’au moins quelqu’un ratera une marche, qu’on se marre un peu, car oui c’est ennuyeux à ce point! 

Tous sont venus chercher leur estampille « carrière », fiers de s’être approchés des derniers étages de la pyramide du mérite. Peu importe le vulgaire qui passe un nouveau cap chaque année et le dispute aux pires émissions du PAF. Aucun n’a jamais l’idée de présenter les acteurs du monde des arts comme des travailleurs, faisant partie du monde du travail. Il nous semble pourtant, à Convergence des Luths, que ce mot est beaucoup moins sale que ceux de victoire de la musique… 

Car c’est bien ce que nous sommes. Des travailleurs, et fiers de l’être. Des ouvriers de l’art, des artisans de la note, des ébénistes du son, des tourneurs-fraiseurs de la musique, pourquoi pas, mais de grâce, cessons ces niaiseries de passion et d’étoiles comme si nous étions des angelots qui planent au dessus du bas monde et de la réalité sociale. 

Qui, dans ces Victoires de la Musique 2021, prendra le risque d’arracher les perruques et les maquillages, de montrer que sous la céruse et la poudre, il y a des pustules et des poux? Qui, dans tout ceux qui ne manquent pas de courage en coulisse pour écrabouiller ceux qui ne peuvent pas 

mordre, osera interpeller dans la salle ceux qui n’en finissent pas de grenouiller? Qui aura la lucidité de dire que ce que nous vivons pendant cette crise ne pouvait qu’arriver, que, à l’instar du système hospitalier, les ressorts et mécaniques délicates qui font qu’un corps est vivant étaient déjà brisés avant la crise sanitaire? 

Bref…se passera-t-il enfin quelque chose dans le monde en carton de la musique classique? Sébastien Renaud, violoncelliste, membre de Convergence des Luths 

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