
Le concours de la Reine Elisabeth vient de se terminer. Cette année n’a pas été très différente des autres. Les habituels consultants de la RTBF sont venus expliquer ce qu’est la musique dite classique, et ont pu ainsi vendre leurs projets et leur soupe musicale. L’élégance de la reine Mathilde a bien évidemment été soulignée, dans le plus pur respect du protocole. Pas un seul mot, bien entendu, n’a été prononcé à propos du controversé conseil d’administration (enfin renouvelé) de Bozar, qui accueille la finale du concours, comme chaque année. En effet, ces histoires n’intéressent personne, et il ne faudrait pas occulter le talent des candidats.
Je dis candidats, car cette édition, consacrée au piano, s’est jouée entre hommes. Le report de l’édition 2020 et les différentes règlementations sanitaires actuelles ont réduit le plateau. 53 hommes et 12 femmes ont participé à la première épreuve. 11 hommes et 1 femme ont accédé à la demi-finale. 6 hommes se sont hissés en finale. Du côté du jury, 10 hommes et 2 femmes ont jugé les prestations de ces jeunes hommes. J’entends déjà les voix indignées s’élever : « les candidats sont sélectionnés sur leur prestation, non sur leur sexe » et tous ces vieux arguments éculés. En effet, est-ce la faute du jury si les hommes ont mieux joué ? Et est-ce la faute de l’organisation si les personnes les plus compétentes pour juger sont des hommes de plus de 50 ans en majorité ?
J’allais oublier, les deux compositeurs qui ont écrit les pièces pour la demi-finale et la finale ? Rompons sur le champ ce suspense insoutenable : deux hommes. L’un d’entre eux est d’ailleurs bien connu en France, puisqu’il s’agit de Bruno Mantovani. Ancien directeur du CNSMD de Paris de 2010 à 2019, il est aujourd’hui directeur du conservatoire de Saint-Maur. Et lui aussi s’est bien sûr investi pour l’égalité des hommes et des femmes dans la musique. Mais c’est un combat apparemment très difficile. Interrogé par France Musique il y a quelques années, ses propos ont été relayés par le journal Le Monde. Extraits :
« Moi, je suis un tout petit peu dérangé par tous les discours sur la parité et les discriminations positives », a commencé M. Mantovani, qui reconnaît une seule discrimination possible, celle du concours. Il explique que « le métier de chef d’orchestre est compliqué » et note que « les femmes ne sont pas forcément intéressées ». « Je ne peux pas mettre une baïonnette derrière chaque étudiante du conservatoire qui aurait des capacités de direction pour la forcer à faire ce métier-là ».
« Il y a aussi le problème de la maternité qui se pose. Une femme qui va avoir des enfants va avoir du mal à avoir une carrière de chef d’orchestre, qui va s’interrompre du jour au lendemain pendant quelques mois, et puis après, j’allais dire vulgairement, assurer le service après-vente de la maternité, élever un enfant à distance, ce n’est pas simple. »
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Pour avoir un tableau complet, voici la composition du conseil d’administration du concours de la Reine Elisabeth.
Bien évidemment, les inégalités entre les hommes et les femmes ne sont pas le fait de Bruno Mantovani. Et il apparaît évident que ce sont les institutions qui doivent évoluer. Mais les institutions sont représentées par des personnes. Des hommes en grande majorité.
Donc, le concours, en tant qu’organisation, invite des candidats masculins, un jury masculin et des compositeurs masculins. L’un de ces compositeurs représente également des institutions. Pas n’importe lesquelles, puisqu’il s’agit de structures publiques d’enseignement. Or, pendant son mandat au CNSMDP, il a fait des déclarations pour le moins contestables sur les femmes, déclarations que nous pourrions qualifier de misogynes et de patriarcales, empreintes également d’un certain mépris de classe et teintés des rapports de domination chers au milieu musical.
Nous savons également, puisqu’un certain nombre d’histoires sont connues et que des témoignages sont apparus, que le CNSMDP n’est pas exempts d’abus de pouvoir et de position dominante commis par certains professeurs. Peut-être faudrait-il enfin considérer ces abus comme l’exercice d’un certain pouvoir par une classe dominante, et non pas comme des comportements isolés, adoptés par des individus malhonnêtes, qui sont d’ailleurs immédiatement ostracisés par ceux qui ferment les yeux sur leurs agissements dès que l’un d’eux se fait épingler par la patrouille. Ce qui est rare d’ailleurs.
Y-a-t-il un lien entre les propos malséants et débridés du directeur d’un établissement et les abus perpétrés par certains professeurs ? C’est une vraie question, que nous devons nous poser collectivement, et dont doivent s’emparer les institutions. Mais il apparaît logique que dénigrer les femmes publiquement dans de grands médias n’envoie pas un bon signal. Et ça n’est dans tous les cas pas disqualifiant professionnellement.
Il est grand temps de remettre en question les codes et les traditions du milieu musical. Le mérite, la souffrance, la soumission et la domination sont des valeurs qui nuisent à l’ensemble de la société, et qui n’ont pas leurs places dans l’enseignement. Le principe même de concours est lui aussi à remettre en question. Qui est apte à juger de ce qui est bien ou mal ? En vertu de quels critères ? En matière de musique, ceux qui jugent aujourd’hui sont souvent ceux qui étaient jugés hier. Sans remise en question ou analyse, la reproduction des abus et injustices subis est hautement probable. C’est la raison pour laquelle la remise en question doit être collective.
Pour celles et ceux qui voudraient profiter de l’analyse des propos de Bruno Mantovani :
Convergence des Luths