
« Fondée à la suite des annulations dues à la Pandémie de Covid-19, l’association Unisson rassemble des artistes lyriques soucieux de défendre leurs droits » titre le quotidien Le Monde le vendredi 17 juillet 2020.
« Unisson est un club ultra chic constitué de ceux qui ont déjà quasiment tout et qui, au nom de leur démarche solidaire, se gavent encore davantage. Ils sévissent entourés d’une horde de jeunes chanteurs pleins d’espoir qui rêvent de récupérer les miettes de leurs actions publiques. Il n’y a pas de solidarité dans ce groupe, juste le moyen de se faire de la publicité et… de récupérer le cas échéant une médaille de Madame la ministre de la Culture » s’inquiète une chanteuse lyrique de son côté.
Alors ? Pourquoi l’Association Unisson déchaîne-t-elle autant les débats entre les travailleurs du secteur d’activité qu’elle prétend défendre ?
Une réflexion passionnante qui procède de l’engagement social et politique de l’Artiste lyrique en France.
L’article du Monde nous explique que la crise a mis en lumière la situation particulièrement précaire et difficile des chanteuses et des chanteurs lyriques et que la question de l’indemnisation des contrats annulés est très délicate dans la mesure où celle-ci dépend directement du rapport que chaque artiste entretient avec sa hiérarchie.
« Un chanteur est engagé sur son nom et sa réputation d’artiste, mais aussi sur les rapports personnels, parfois affectifs, qu’il a développés avec ses employeurs, directeurs artistiques et responsables de castings » explique un chanteur lyrique. L’article révèle ensuite que, d’une manière générale, les artistes lyriques préfèrent renoncer à leurs droits pour un dédommagement très inférieur plutôt que d’aller jusqu’au conflit avec leur direction.
Les artistes lyriques vivent dans la crainte de sanctions qui pourraient potentiellement anéantir leur carrière. « Hélas, ce n’est pas en nous sacrifiant que nous ferons triompher nos idées. Je me méfie des groupes de réseaux sociaux, il y a toujours des traîtres pour balancer… » glisse en refusant de révéler son identité l’un d’eux après avoir été sollicité pour un témoignage public. Le chanteur lyrique à l’origine de cet article, lui-même syndiqué, gardera l’anonymat de peur de se voir pénalisé ou même « blacklisté », comme cela arrive fréquemment avec les artistes syndiqué-e-s.
Pris entre le désir d’une réussite professionnelle personnelle et la peur de l’ostracisme communément pratiqué envers les insoumis, nombreux sont les chanteuses et les chanteurs qui se sont retrouvé-es à partir de mars 2020 dans l’Association Unisson.
Dès le début, Unisson est soutenue par l’ensemble du secteur : agents, employeurs, personnalités politiques et médiatiques proches du monde de la musique classique. C’est ainsi qu’elle compte parmi ses membres d’honneur : Roselyne Bachelot (avant sa nomination au ministère de la Culture), Arlette Chabot, Patrick Poivre d’Arvor, Maryvonne de Saint-Pulgent, Andréa Ferréol et Jack Lang, ce dernier ayant même adressé au ministre de la Culture de l’époque, M. Franck Riester, une lettre pour l’inviter à considérer les difficultés que traversent les artistes lyriques et leurs employeurs, appelés comme tous les professionnels de ce milieu à surmonter la crise qui bouleverse le secteur culturel dans son ensemble.
À Unisson, on pratique le consensus avec le pouvoir politique censé être son bienfaiteur. Ainsi, Unisson a été reçue par Madame la ministre de la Culture au mois de février 2021 et a par la suite enjoint ses adhérents via sa messagerie Telegram à se ranger derrière elle : « la ministre s’était montrée entreprenante et dévouée à notre cause et s’était considérée elle-même comme notre avocate auprès d’autres ministères pour plaider en notre faveur. Saisissons cette chance ».
Unisson fait d’un côté du lobbying auprès des institutions et promeut de l’autre les artistes lyriques solistes et les artistes lyriques de choeurs sur le marché du chant lyrique par une communication relativement gratifiante, comme en témoigne l’article paru dans Diapason « Pour les chanteurs français, Unisson fait la force » paru le 26 avril 2020. Dans la profession, « il faut en être » !
Mais Unisson n’en reste pas là. L’association annonce mettre à la disposition de nombreux artistes lyriques des avocats spécialisés pour défendre les contrats et annulations de contrats habituellement gérés par les agents des artistes lyriques. Les artistes les plus fragiles bénéficieraient ainsi d’une aide juridique appréciable en cette période de crise sanitaire et d’annulations multiples. Unisson donne aussi des conseils en matière de formation, de droits… Bref, Unisson attire, s’occupe et se préoccupe des chanteurs et des chanteuses lyriques…
Unisson est un groupe d’influence qui s’inscrit dans la société néolibérale telle qu’elle est structurée, avec une élite prestigieuse qui donne le la des bonnes pratiques, de la réussite, et un ensemble de suiveurs – l’immense majorité des chanteuses et des chanteurs – qui doivent prendre exemple sur elle et ne jamais se rebeller sous peine de voir leur carrière stoppée nette. Combien d’artistes voient leurs droits défendus par Unisson ? Quels droits sont défendus ? Les artistes en conflit avec un chef de chœur, un chef d’orchestre, un directeur de casting… sont-ils aussi défendus ? On peut en douter…
Dans l’article de Diapason évoqué au-dessus, lorsqu’on lui demande pourquoi elle n’a pas fait appel aux syndicats d’artistes interprètes existants, qui partagent pourtant nombre de ses problématiques, une chanteuse lyrique répond : « La question s’est naturellement posée. Mon mari, comédien et adhérent du Syndicat Français des Artistes interprètes (SFA-CGT), me demande d’ailleurs souvent pourquoi les chanteurs lyriques se syndiquent si peu. D’abord, nos carrières suivent des logiques très spécifiques, avec un nombre d’employeurs relativement réduit en France, et beaucoup d’engagements internationaux pour certains d’entre nous. Ensuite, et sans éluder les enjeux de politique culturelle dans lesquels s’inscrivent nos métiers, notre démarche se veut d’une totale neutralité partisane et d’un respect absolu de la diversité des opinions de chacun.»
Mais alors, qu’est-ce que cette « logique spécifique de carrière » dont parle cette chanteuse, si ce n’est celle du secret, de l’intrigue, des affects et du quant-à-soi caractéristique de l’entreprise privée lucrative de l’économie de marché… dans laquelle s’inscrit parfaitement Unisson ? Qu’est-ce qu’une « démarche d’une totale neutralité partisane » ? Qui peut croire que cette démarche échapperait au cadre du star système, des élus et des battus, des bons et des mauvais, c’est-à-dire la fable délétère de la méritocratie, du triomphe des meilleurs sur les médiocres, des génies sur les «parasites», bref de la très partisane société néolibérale qui domine la société d’aujourd’hui ?
Au-delà d’Unisson, il a toujours existé un grand nombre d’associations dans le secteur de la Musique classique. Et tout le monde a toujours trouvé cela vraiment formidable ! N’ayant pas le statut de « partenaire social », certaines font le forcing pour entrer dans les instances de pouvoirs, notamment au ministère de la Culture, qui trouve là l’occasion d’associer à bon compte la profession tout en évinçant à sa guise les syndicats de salariés, pourtant considérés représentatifs par les institutions et reconnus par les votes des élections professionnelles. Pour un gouvernement ouvertement néolibéral, il est plus simple de satisfaire les demandes de lobbies venus réclamer des avantages pour leurs intérêts particuliers que celles des syndicats qui défendent des droits pour toutes et tous et qui prétendent contribuer de manière aussi critique que constructive au fonctionnement des institutions, aux directions d’Opéra, à la sécurisation des parcours professionnels des artistes, à leur protection sociale… Par ce biais, les syndicats remettent en cause les hiérarchies, pour ne pas dire les baronnies du monde du chant lyrique, tout en le décloisonnant vers les autres professions du spectacle, et plus largement, vers le monde du travail.
Le chant lyrique ne vit pas dans un monde à part. Les chanteuses lyriques, les chanteurs lyriques sont aussi des travailleurs de la Culture. Ils, elles font partie intégrante de la collectivité des travailleurs du pays. Adhérer à un syndicat de salariés, c’est défendre ses droits de travailleur autant que défendre son métier dans la société. Une démarche à l’opposé de la défense d’intérêts personnels dans la quête improbable de la réussite et de la célébrité.
Chaque artiste se situe entre les deux options opposées de ce clivage. En fonction de sa sensibilité politique, de son engagement social, de son courage, de ses convictions… il choisira l’un ou l’autre. Certains réussissent le tour de force d’être dans les deux… Il n’empêche, le syndicat a besoin de chacune et de chacun dans le combat qu’il mène pour toutes et tous. Pas Unisson…
L’Unisson fait la force disent-ils…
Non. Musicalement l’unisson a toujours été inintéressant et fade. La musique a lieu d’être quand l’unisson est dépassé, quand il y a plusieurs voix.
C’est dans la différence des voix que s’inscrit une lutte sociale sincère qui défend les droits sociaux de tous les travailleurs.
Convergence des Luths