#MeToo Classique

Lors de ma première année au Conservatoire National Supérieur de Paris, on me recruta afin de prendre part à un concert de variété à l’étranger. L’important se trouvait être ici, non pas la bonne maîtrise de mon instrument, mais celle bien plus précise de mes mensurations, puisque de toute façon, le playback était de mise. Tenue de cuir noir et ceinture cloutée exigée, entrejambe fendu jusqu’en des endroits qui feraient rougir ma grand-mère, c’est ainsi que je dû monter sur scène, exhibée en “clou du spectacle” à la vue de 5000 jeunes en mal d’émotions. 

Après m’être fait ramasser par le maquilleur en charge de ma potentielle beauté sous prétexte que, à tout juste 18 ans, j’étais plus à même de tenir convenablement un instrument de musique qu’un tube de mascara, nous terminâmes la soirée post-concert dans ce qui s’est avéré être, avec le recul, un ersatz de club échangiste. 

L’heure t, le fils de la star, de quelques mois mon cadet, semblait s’obstiner à embrasser une ex belle-mère de 25 ans son aînée, aux côtés d’un père qui lui, avait apparemment pris le parti de s’envoyer la tante de l’oncle de son cousin par alliance, sous les yeux ébahis du plus jeune de ses fils d’à peine 15 ans.  

Je déambulais seule autour de ces immenses lits à baldaquins, enfoncés dans de profondes alcôves garnies de gens que j’avais pensé connaître un peu, pour les avoir côtoyés l’espace d’un week-end. Au clair des bougies, dans une ambiance pré-débauche à la Kubrick et avant que tout cela n’empire (où ne s’améliore, c’est selon !) n’ayant pas trop compris où je me situais mais en proie à un profond malaise, j’échangeais quelques derniers mots avec le plus jeune des enfants et rentrais à l’hôtel. 

Mais si cela choque la mère de ma voisine dont la fille est en école de commerce, j’entends pourtant déjà rire la majorité des gens de ce que l’on nomme communément “le milieu” pour la banalité de tels faits. Comme je m’en rendis compte tardivement, ce genre d’expérience “soft” s’avère être le sort commun de la majorité des jeunes du milieu musical, à fortiori des jeunes femmes, quand cela ne se double pas d’incitations explicites à user et abuser de situations de toutes sortes, au Saint-Nom de l’influence et de l’admiration. Et si en ce moment, Sciences-Po est mis à l’index, il serait peut-être temps un jour d’en faire de même avec nos autres institutions supérieures. 

Ce qui surprend mon père, comme bien d’autres parents lorsque l’on aborde ce sujet, c’est qu’ils ont cru mettre leurs enfants studieux, bons élèves, à l’abri d’une institution protectrice. La musique classique. L’élite ! Pourtant aux noms des arts, drogues, échangisme, alcool à outrance, débauche, et surtout, trafic d’influence ont la belle vie. Il en va certainement de même dans d’autres milieux, mais dans le nôtre, où le travail est une denrée rare et où la concurrence fait rage, tous les “coups” (au sens propre, comme au figuré) deviennent permis. Et face à une institution qui se veut aveugle, les plus jeunes d’entre nous, dont l’ambition n’a pas toujours été encore écornée par la violente réalité, se retrouvent souvent être une monnaie d’échange. Monnaie d’échange pour laquelle les plus rebelles, suivant le chantage auquel ils se confronteront, se retrouveront alors désavoués. Evincés. 

Au CNSM de Paris, comme d’ailleurs dans celui de Lyon, que le commun des mortels se plaît à comparer à l’entrée à polytechnique, d’éminents professeurs de disciplines et de tranches d’âge disparates, mais parfois extrêmement âgés, “s’envoient” ouvertement leurs élèves, quand bien même ces derniers sont mineurs. Si ces faits semblent impossibles dans le code de la loi, ils sont pourtant ici de notoriété publique, et transgressés sans aucune pudeur, sous prétexte d’enseignement artistique.  Et ne venez pas nous parler d’amour, car il n’y a rien qui n’en soit malheureusement plus éloigné… 

Quant à ceux qui profitent de leur pouvoir professoral pour s’octroyer les faveurs de mineurs, leur faisant miroiter à demi-mots la réussite aux prestigieux concours (et donc à la carrière), ce sont des faits connus et reconnus de tous. Certains stages, en plus d’être un impôt destiné, entre autres, à aider les professeurs à trier leurs futures recrues sur le volet, et à engraisser largement leurs fins de mois, sont tout bonnement des incitations à la débauche. Professeurs et solistes, qui usent et abusent (notamment dans nos chères classes de cuivres !) des métaphores outrancières et misogynes, sont légions. Pour une femme, celle qui réussira à intégrer une telle classe est soit une putain, soit une lesbienne. Que la malheureuse ne daigne s’accorder à l’opinion publique, et elle se verra reléguer au rang de déchet, et harcelée jusqu’à plus soif. Combien sont-elles, en France aujourd’hui, à en avoir fait les frais? 

Là encore, les plaintes sont irrecevables par l’administration et les professeurs, immuables et inattaquables. Le seul perdant sera la forte tête qui a refusé l’étiquette ou la pression qu’on a exercé sur elle. 

De l’avis général, nous sommes toutes et tous consentants. Pourtant, coupez les micros et échangez avec cette jeunesse, vous vous apercevrez bien vite que peu le sont. Mais quelle est donc l’éducation que l’on nous contraint à recevoir, en guise d’études, pour nous inciter si fortement à la soumission ? Pour que toute rébellion vous brise les os ? Depuis quand porter un jugement sur diverses pratiques, avoir un avis, aussi divergent de l’opinion commune soit-il, est-il un crime? Depuis quand n’a-t-on plus la possibilité de recours à la justice en France, si ce n’est pour se défendre de la fameuse “diffamation” qui surgit à tout bout de champ pour quiconque ose exprimer une opinion contraire? La Familia grande, la nôtre, la voici, qui se serre les coudes contre vents et marées. Et dans cette grande famille, jeunes filles, femmes, sont tellement habituées à être traitées comme des objets dont le respect n’existe que dans un dictionnaire réservé à une société parallèle, qu’il leur devient très difficile, passé un temps, de comprendre où se situe la “norme”.  D’autant plus en cercle clos.  De limites, il n’y en a aucune, sous prétexte d’art. Tout cela est tellement banalisé, que lors du mouvement “metoo”, je fus une des premières à m’offusquer d’entendre toutes ces femmes balancer “leur porc”. Sont-ils des porcs ? Ou se savent-ils juste appuyés et soutenus par une institution bouclier ? 

Au nom de la liberté des mœurs, au nom de l’Artiste, celles et ceux qui se refuseront pourtant à cette fameuse “norme” au prix d’une “liberté” individuelle se feront broyer tôt ou tard, suivant qui ils auront le malheur de croiser sur leur route. On ne résiste pas impunément, et ça même ceux qui ont réclamé justice le savent. C’est le cas par exemple de Chloé Lopes Gomez, victime de racisme au sein du Staastballet de Berlin, et qui suite à ses plaintes au sein de l’établissement s’est retrouvée sans travail,  comme elle l’affirme dans l’émission “Quotidien” du 28 janvier 2020.  Ceci est malheureusement le lot de beaucoup d’artistes, qui préfèrent alors se taire. Et quelle est cette fameuse “norme”, qui contraint adolescents et jeunes adultes au silence face à de telles dérives ? 

Le quotidien des femmes et des hommes dans nos milieux, c’est de sourire, de mettre des tenues saillantes (mais pas trop! Aguicheuse !) et de brosser les plus testostéronés, (comme les moins, égo oblige) dans le sens du poil pour les femmes, et de savoir bien fermer sa gueule pour les hommes. Enfin, de n’avoir surtout aucune opinion personnelle de quelque ordre (musicale incluse). Cela bien sûr si l’on veut jouer, chanter, danser, ou plus simplement payer son loyer. Sans cela, libre à vous de l’ouvrir, mais vous serez possiblement lynchés sur la place publique.   

Séduire. À l’Opéra de Paris, si vous avez le privilège d’être invité, vous entendrez des pans de murs entiers vous chuchoter à l’oreille que c’est uniquement parce que vous couchez avec votre supérieur. Et cela, même si votre curriculum vitae le dément… Dans cette noble institution, hautement étatique, diffamation et chantage à l’emploi vont bon train pour les intermittents en tout genre, de tous âges et de tous bords, avec une mention spéciale pour les jeunes femmes ayant le bonheur (ou le malheur…) de venir jouer dans les rangs de l’éminente entreprise. Les jeunes hommes d’ailleurs ne sont souvent pas en reste, et mieux vaut plus que jamais n’avoir aucun avis personnel, que de se croire en droit de pouvoir parler. Si la parole est d’argent, ici plus qu’ailleurs le silence est d’or. Vous n’êtes pas ici chez vous, et ça même si cela fait plusieurs années que l’on fait appel à vos bons et loyaux services. Quoi que vous enduriez, vous êtes chanceux (le travail n’a rien à voir avec ça!) et redevable d’une caste qui se croit tout permis, dont les rangs sont truffés de musiciens qui se jettent des mains courantes comme d’autres usent des confettis, et dont le pouvoir, même quand il serait contré par la justice de France, est sans limite. (Europe 1 a déjà tenté de pointer du doigt le harcèlement chez les danseurs à l’Opéra, relayant les propos glaçants de Guislaine Thesmar, émission en libre accès du 30 avril 2018 de Nadia Daam, ainsi que l’OBS avec un article du 17 avril 2018 comprenant un sondage alarmant de harcèlement moral et sexuel.)

Mais ne croyez pas que cette noble institution soit le seul domaine de la débauche, où coke et échangisme sont quasiment de rigueur pour certains, pressions et chantages pour d’autres… et que la violation de toute bienséance soit ici en lieu unique. Lors des tournées orchestrales, que l’on pourrait plus communément nommer des boîtes à partouzes, tous orchestres (ou presque) confondus, il arrive que des jeunes, fraîchement débarqués, se voient appelés dans leur chambre d’hôtel par des collègues, et ouvrant la porte, à tout juste 18 ans, se retrouvent ainsi nez à nez avec l’image nauséabonde d’une prostituée, en proie aux assauts de deux musiciens.  Bien sûr, on n’oublie pas la proposition qui fût faite au jeune homme de se joindre aux ébats ! La belle élite! On a eu vent, par exemple, d’un certain conservatoire hollandais fort réputé, où il est des professeurs qui violent leurs élèves, les violentes, et les incitent à des prises illicites de drogues diverses, à la connaissance de tous, et de la direction en premier lieu.  Et cela sans que rien ne fuite au grand jour. Ordre de l’administration! Quant au prévenu, on le congédiera gentiment, et il continuera de sévir dans les divers stages, festivals, et autres manifestations mondiales, où les autorités informées se foutent complètement de savoir ce que vous faites bien subir à vos élèves. 

 Malheureusement, on a en France déjà eu les mêmes constatations, à peu de choses près, sans que les principaux intéressés n’en soient réellement inquiétés. L’un des directeurs nommé par Frédéric Mitterand au CNSM, (également ancien directeur musique de Radio France et conseiller musique au ministère de la culture) a bien détenu et diffusé des images à caractère pédophile, (France soir, “Portrait-Robot d’un cyber-délinquant”, en date du 07 mars 2010, qui stipule une peine de quatre mois avec sursis, réduite après appel à une amende, “diapasonmag” 05 novembre 2020), mais ce dernier a disparu rapidement des écrans radars, reprenant ses activités de directeur et de conseiller culturel… Comment se fait-il qu’un tel homme soit parvenu à un tel poste sans que ses activités ne soient divulguées AVANT sa nomination, et y’a t il eu, (comme le dit également à ce sujet “diapasonmag”, toujours en date du 05 novembre), une “indulgence traditionnelle” vis à vis de cet éminent personnage, ça malheureusement, peu semblent enclins à vouloir se poser la question ouvertement. 

Car bel et bien, nos grandes institutions culturelles françaises comme européennes possèdent une administration de la puissance de châteaux-forts. Ici, on lave son linge sale en famille.  Et si l’idée d’une quelconque plainte surgissait dans votre esprit, on saura vous faire comprendre rapidement que mieux vaut pour vous de savoir tenir votre langue. Le titre honorifique de fonctionnaire se mérite, et le chantage à la stabilité, si difficile à obtenir dans un milieu précaire, vaut bien le poids de sa conscience. Car si l’idée prenait à un pauvre valet dont l’ascension n’est pas encore validée par ses supérieurs de partir en guerre avec les instances juridiques propres à son pays, il se verrait rapidement opposer une armée de petits soldats, tribunal pervers d’un milieu corrompu. Et face à la calomnie, comme le dit Rossini: “…et l’on voit, le pauvre diable, menacé comme un coupable, sous cette arme redoutable, tomber, tomber… terrassé”.

 C’est pourquoi dans ce milieu, les vagues jamais ne dépassent le stade du murmure. Malheureusement, une fois le titre sécuritaire obtenu, les années ayant passé, l’impuissance subie trop longtemps appose son sceau fatal sur les individus. La résignation l’emporte. La révolte est l’arme d’une jeunesse qu’ici on musèle. 

Peut-être la société entière est-elle déréglée, peut-être, comme le dit Cyril Dion, “faisons-nous face à une crise de la sensibilité”, mais je ne peux m’empêcher de me demander quand nos professeurs se dresseront contre ce fonctionnement pervers, contre cette institution décadente, et mettront en garde leurs successeurs, afin de protéger une jeunesse pourtant noyée d’idéaux.  

 Car bien sûr, tous ne sont pas des monstres. Mais la grande majorité est contaminée par la peur, la peur des répercussions, la peur de manquer à la carrière pour une quelconque prise de position. La peur d’être mis au ban des concours, des “cachetons”, et donc de manquer à la sécurité financière, lumière inatteignable au bout d’un tunnel sans fond. La sécurité financière qui seule permet de s’éloigner de ce marasme, et de ne plus être “dépendant” de la perversité du milieu. Et le silence règne. Pression, violence, sexisme, chantage, obligations. Voilà notre monde d’élite. Droit de cuissage. Quant aux femmes professeurs, solistes, elles n’échappent malheureusement pas à la pression d’un machisme forcené qui régit les rapports musicaux et sociaux. Et trop se taisent, en trop grand nombre, trop habituées qu’elles sont à subir ses assauts depuis l’adolescence. Alors beaucoup se détournent du moindre trouble et se rangent silencieusement du côté du plus fort.  La parole reste taboue, et l’administration, la grande coupable de ce marasme. 

Dans un milieu qui tient davantage de la fosse aux lions que d’un théâtre, la surprise est pourtant de constater que tous ces hommes, qui mettent bien souvent leur désir en avant au détriment d’un regard paternaliste, ont tous des enfants grandissants (voir déjà âgés pour un bon nombre).  Et aucun ne souhaiterait, s’ils avaient assez d’empathie pour posséder une telle capacité de projection, un tel monde pour eux. Exception faites des possibles Duhamel que l’omerta n’a pas encore officiellement divulguée. (Rappelons toutefois que Monsieur Duhamel bénéficie de la présomption d’innocence tant que la justice n’a pas terminé son travail, et qu’à ce titre, nos propos n’ont pas pour but de faire ici son jugement). 

Combien d’enfants, comme Hugo Marchand (danseur étoile à l’Opéra de Paris) le rappelle lui-même lors d’un entretien accessible à tous, combien arrivent dans ces institutions fraîchement débarqués de leurs provinces, dépourvus totalement d’une expérience de vie pouvant possiblement les mettre un peu à l’abri des traumatismes qui les attendent, rendus en fin de compte banals par le milieu?

Combien d’enfants, pour arriver à un tel niveau sélectif d’écoles supérieures, passent des journées entières, en dehors des salles de classes élémentaires, à travailler leurs instruments, leurs pas de danse, leurs textes, pour se retrouver jetés dans la gueule du loup, avec comme seule écoute la solitude de leur détresse, comme seul appui la rivalité de leurs aînés et comme seul repère la confiance parfois aveugle qu’ils placent dans leurs professeurs et maîtres, et au-delà, l’Institution ? Cette institution qui ne bougera pas pour eux. Cette institution toute puissante qui protège encore et toujours les plus forts et au détriment des plus vulnérables. 

Quelques faits de harcèlement ou d’agressions ont bien été divulgués ponctuellement, notamment sur la toile des réseaux sociaux, scandalisant un cercle restreint du monde musical. Malheureusement le soufflé de ces dénonciations retombe souvent bien vite, et les protagonistes, comme c’est le cas de la chanteuse Chloé Briot, (France info billet culture en date du 17 septembre 2020 “Harcèlement et violence sexuelle: l’omerta en vigueur dans le milieu de l’opéra commence doucement à se fissurer”) pour se faire entendre, se voient alors obligés de déposer une plainte. Les voix qui expriment leur souffrance ne sont pas assez unies pour faire peur aux puissant. 

C’est dans cet esprit que Convergence des Luths a décidé d’unir ses forces, afin d’en finir avec l’oppression et le dictat des sociétés du marché de la culture. 

 Convergence des Luths

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